Le clivage du Brexit

février 28th, 2017 no comment

Le souffle de l’apocalypse tant annoncée par les thuriféraires de l’UE étant retombé en une semaine, et le résultat étant ce qu’il est malgré les menaces dignes du « Parrain » de la part du président de la commission, beaucoup de commentateurs ont cherché à comprendre quelles lignes sociales le Brexit avait tracées. Gaspard Koenig en a entrepris une première « analyse » dans le Figaro Vox, dont la tonalité confine bien davantage au mépris et à la haine profonde qu’à la volonté de comprendre. Vu selon son prisme, les partisans du Brexit sont nécessairement des brutes sous-éduquées, l’attachement à un état nation la pierre angulaire de tous les fascismes et de toutes les guerres, jusqu’à réclamer que Londres fasse sécession du reste du Royaume-Uni, tout en dénonçant les « fictions de romancier » de ses adversaires… Gaspard Koenig ne semble pas le moins du monde gêné par ses propres méthodes d’argumentation, qui outrepassent ce qu’il reproche aux plus arriérés de ses adversaires : mépris, appel à la haine, essentialisation de celui qui est en désaccord avec lui, considéré comme un être inférieur. Il y a finalement plus arriéré et plus haineux qu’une bande de skinheads abordant leur quatrième tournée de bière : un européiste sentant que sa précieuse carrière est menacée parvient à les dépasser en hystérie. L’opportuniste qui se sent perçu comme un imposteur inutile et non le fer de lance de la civilisation défendra sa précieuse position sociale avec la même agressivité que s’il s’agissait de sa vie. La drogue de l’arrivisme social engendre des comportements pathologiques d’autant plus remarquables que celui qui est sous son emprise voit son hystérie comme l’expression même du libre arbitre et de la « souveraineté sur soi-même ». Gaspard Koenig est tout comme l’ivrogne de Spinoza qui se sent libre comme jamais au moment même où sa passion dévorante est la plus forte. Il n’est définitivement pas possible de titrer le narcissisme, qui dépasse par ses effets la plus forte des vodkas… Il paraît que ce monsieur est philosophe. Il est vrai que l’on affuble de ce titre une catégorie de « penseurs » qui se ressemblent tous. Sans doute est-ce notre époque post-moderne qui veut cela. Ils s’arrêtent tous précisément au point où la réflexion devrait démarrer. Penser un concept nécessite en premier lieu d’identifier les forces contradictoires en présence : identité / ouverture, liberté / bien commun, réalisation de soi / sens du collectif, etc. ce qu’ils font généralement. Or c’est à ce commencement de la compréhension que nos « philosophes » si interchangeables se livrent à un jeu primaire : la tension créatrice qui doit alimenter la réflexion est sectionnée en deux parties bien binaires, l’une représentant le bien, l’autre le mal. Tout débat et toute analyse se retrouvent ainsi aplatis et asséchés avant que d’avoir commencé. Les tenants de cette belle méthode de pensée ne réfléchissent plus : ils s’érigent en justiciers, tout occupés à l’admiration de leur propre image qu’ils confondent avec une libre décision. Le Brexit aurait pu être une opportunité de repenser la difficile conciliation entre histoire des nations et ouverture au monde, qui ne se résout certainement pas en balayant brutalement l’un des termes au détriment de l’autre. Gaspard Koenig se dit kantien. Très bien, rappelons-nous donc cette remarque du maître de la raison critique :  » On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter ». Je crains fort que la capacité de résistance de Gaspard Koenig dans ce domaine ne soit que de quelques secondes, tant le maintien d’une aporie intéressante cède bien vite le pas à son équarrissage manichéen. Accordons-lui que la tentation est grande, cette activité lui permettant de poursuivre la sculpture de lui-même, qu’il prend pour du libre arbitre. « L’ego est en raison inverse de la personnalité » nous disait Jankélévitch. Je crains que Gaspard Koenig n’ait un très fort ego.

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